L'ennuie, des soirées à n'en plus finir loin des murs rassurants et chauds de son ancienne chambre richement meublée. Cela faisait maintenant quelques semaines que Darius se trouvait à Amaranthe, on était en août et le temps déjà frileux ne faisait que se refroidir. Rien à voir avec les rayons intransigeants du soleil d'Alamut, la chaleur aussi intense que réconfortante qu'il avait toute sa vie connue. Les premiers jours n'avaient pas été tendre avec le jeune noble. Et malgré le fait qu'il commençait à s'habituer à être loin de chez lui, sans jamais avoir le droit de retourner sauf ordre contraire du paternel, et seulement pour quelques jours trop courts, Darius sentait parfois le mal du pays le ronger. Surtout le soir, quand ses journées de travail laissaient place à une mélancolie dont il n'arrivait pas à se défaire, loin des jeux de Styx, loin de ses livres, de son lit douillet avec ses draps de soie, loin de tout, près de rien.

Ce soir-là plus que jamais, le jeune errait dans les couloirs du palais des Bytchkov, faveur octroyée de par son titre de noblesse et sa profession aussi nécessaire qu'artificielle. Il ne pouvait cependant pas en faire à sa guise, bien obligé de se plier aux règles de ses hôtes, et à l'agonie qui le prenait chaque nuitée, lorsque le ciel se faisait opaque et qu'il se trouvait alors bien incapable de calmer les réminiscences d'un traumatisme aux conséquences pourtant minimes. L'insomnie, les cauchemars et les agitations du myocarde dès qu'il se trouvait dans des salles hermétiques aux portes closes... Agacé, ennuyé, il avait pourtant rendez-vous ce soir, dans une alcôve quelque peu éloignée du reste de ce palais monstrueusement gigantesque comme toutes les demeures de l'aristocratie de Thormar. Une jeune femme au nom inconnu, ou qu'il avait déjà oublié, et qui pourrait – par quelques baisers volés – lui faire oublier un instant la torpeur qui l’assommait. Toujours à jouer de ses charmes, un jeu bien dangereux que ses parents avaient tenté de calmer en l'envoyant au loin, inutile geste qui ne l'avait rendu que plus précautionneux. Qui avait décuplé son amour du jeu et de la chasse.

Lorsqu'il arriva jusqu'à la cachette des amants, il trouva la demoiselle, les yeux baissés, peut-être honteuse peut-être joueuse qui l'attendait déjà. Et sans plus attendre, après quelques mots échangés de sa voix basse et mielleuse de baryton, Darius s'approcha et caressa la clavicule de la demoiselle au nom oublié. Tout pris qu'il était dans son jeu, un brin inconscient de laisser ainsi tomber sa garde, il n'entendit pas les bruits de pas qui se rapprochaient ni ne vit la personne qui allait interrompre une danse qui avait si bien débutée. Les soupirs contenus de la jeune femme s'arrêtèrent brusquement, et dans un léger cri de surprise apeuré, la souris détala sans plus demander son reste, laissant Darius coi et déçu.

S'attendant à voir apparaître son tuteur qui le suivait le plus possible – sous ordre du patriarche sans aucun doute – il se retourna prêt à subir les remontrances habituelles, la colère distinguée de l'aîné agacé par les sempiternels écarts du N'Tchalla. Son sourire goguenard s'effaça pour laisser place à la mine contrite qu'il prenait les rares fois où il se faisait prendre. Les épaules un peu baissée en signe de soumission, aussi fausse que tout le reste.

Quelle ne fut sa surprise pourtant lorsqu'au lieu du tuteur, Darius se trouva nez à nez avec une tête presque inconnue, celle d'un noble de son âge qu'il avait rencontré à son arrivée au palais, celle du plus jeune des Bytchkov dont le nom ne lui revenait pas encore en mémoire. Figé, à court de mots – lui qui n'en manquait d'ordinaire jamais – Darius n'eut que la bonne idée de le regarder bêtement, la bouche ouverte incapable de se refermer et le sang lui montant au visage.

Après un temps qui passa pour une éternité, Darius se racla la gorge doucement, et débloquant ainsi sa langue bien pendue il s'empressa de trouver une parade pour dissimuler la réelle raison de sa présence en ces lieux à une heure aussi tardive « Je pense m'être perdu. » Après tout, étant donné la vitesse avec laquelle la jeune bourgeoise s'était enfuie, il était tout à fait possible que le noble n'ait rien vu, ou à peine. C'était du moins ce dont il tentait de se convaincre... Bien inutilement, espérant plus que jamais ne pas avoir à s'expliquer. Surtout pas à un Bytchkov qui aurait pu vouloir sa perte ou qui aurait pu ainsi le faire chanter. Paranoïa quand tu nous tiens....